Vers Où (Française)

Vers Où

Faust

I.

L’heure est venue de montrer avec fermeté
que l’homme n’a pas peur devant le divin.
Ne tremble pas devant la grotte sombre,
qui change en malédiction toute fantaisie,
mais passe, sans y donner d’importance,
par l’ouverture qui crache le feu de l’enfer–
avec lucidité ose le pas,
même si tu dois arriver au néant !
Goethe, Faust

Tu veux savoir le dénouement du drame, Faust ?
Savoir pour les victimes qui pourrissent sur les autels
abandonnées par leurs sacrificateurs ?

Tu veux savoir pour le remords qui a été frappé à sa racine,
là où trouvent une nourriture les fleurs souterraines,
en tétant des seins paresseux ?

Il y une épaule qui soulève le vide,
purgeant pour toujours le châtiment de sa force ;
il y a un corps qui passe à travers ses murs
et laisse derrière lui la peur emprisonnée.

Tu veux savoir pour la peur que tu as reniée, Faust ?
La peur qui se convertit à l’inertie et à la soumission,
à la contemplation effarée de la souffrance,
qui atteint jusqu’à la souffrance des yeux ?

Tant de vie, trop de vie pour exister ;
accrochée tout entière aux vents,
comme une feuille de papier qui s’élève
jusqu’aux conséquences inconciliables des mythes,
jusqu’à l’insoutenable résonance d’un soi lointain ;

tant de vie, tant de vie dans ses idoles ;
tant, comme une autre vie qui inchangée tient
dans un miroir plus énigmatique
ou dans une matrice qui s’ouvre dans une autre,
pour qu’enceinte du rien elle porte le tout.
Où as-tu ton esprit, Faust ?
Tu te trouves encore dans l’écriture,
éloigné d’une syllabe de ta destination.

« On frappe ? Entrez ! » Qui t’imite à nouveau ?
Qui a revêtu tes habits et la plume blanche ?
Et qui, boitant, avec un art maléfique, falsifie ton art ?

Malheureux, Faust !
Ton esprit s’est trompé dans les présents des esprits ;
ton œil s’est accroché à la lumière d’emprunt ;

regarde en haut,
comme le déploiement de la flamme dépasse le gril qui monte les morts ;
des tourbillons cernent la cella et découvrent
le royaume sans foyer et comique des ombres.

Ce qui arrive est un passage du même rôle
dans un mélodrame qui s’écrit continuellement.

Ce qui arrive se trouve depuis longtemps avec nous.

II.

L’air ne suffit pas, le feu ne suffit pas ni la grâce de l’impardonnable,
pour que soit de nouveau défini le monde sans surveillance ;
l’ancien présage ne suffit pas ni les runes usées des murmures,
pour qu’on articule à nouveau le discours sans dessein.

Vers où as-tu dirigé ton sang, Faust ?

Ces sommets n’existeront pas hors de leurs murs,
ils n’existeront pas hors du décor de leur caractère absolu.
Ces vagues qui rejettent les corps
n’existeront pas hors du rire et des pleurs de leur lyrisme.

Malheureux, Faust !
Celui qui regarde en haut verra en haut la chute,
là où les éclairs résonnent comme des célébrations de mystères,
là où ce qui s’est élevé reviendra dans la langue.

Malheureux, Faust !
Distance inaccomplie de l’esprit accompli ;
sur laquelle des rives tu t’arrêteras,
de quel côté du chaos ;

[ entretemps s’est trouvé un aveugle,
qui est à peine descendu avec l’ascenseur des fantômes.
Tac, tac ! Tac, tac ! Tac ! il s’est arrêté près de nous :
« Venez avec moi », nous dit-il,
sachant que la seule façon de connaître sa propre direction
c’est la façon de traverser les visions.
Comme en jouant il a trouvé notre chemin entre les cratères.
« Attendez ici », dit-il,
« dans quelques minutes apparaîtra de ce côté votre bac.
Attention au vide. ]

III.

Vers où se trouve la porte de l’humain, Faust ?
Vers où la connaissance des règles de la vision ?
Toutes tes sensations sont éclairées sur la terre,
toutes tes natures veillent sur leurs idoles.

Quelle vérité de trop te désespère ?

Il existe un jardin avec des parterres artistiques,
avec des allégories d’arbres et de merveilles,
inaccessible de tous les côtés,
mais accessible du côté de la tristesse.

Il existe un lieu qui mûrit avec le vent ;

le vent arrive poussé par la cendre,
terre et cendre ternies par l’haleine de la rémission,
par les prières qui épuisent le spectre céleste ;

terre et cendre,
comme la substance de la farce de l’univers,
comme la répétition silencieuse de la mort sans les pleurs.

Ne te cache pas derrière la mort, Faust ;
il existe le lieu qui retentit encore
des manœuvres adroites des fourgons à bagages,
de la veine au cou du clairon,
du craquement de la nuque au gibet ;

comme un lieu plus loin que l’avenir
ou comme une sirène sentimentale qui invite

[ à une tasse de café réchauffé avec un biscuit au beurre
à la lumière refuge d’une lampe à gaz,
bavardant de choses et d’autres,
pratiquant les horoscopes sur les doigts et les astres…
― Si bien que nous avons tant à faire, les aiguilles des minutes continuent à tourner et nous demeurons autant qu’il convient convenables. ]

Quelle parodie hante ton avenir, Faust ?
Quelque chose qui ressemble à une ombre couvre ton ombre
et la dialectique gothique est bien trop commode
pour que tu ne revêtes pas son habit comme un voile de rêveur.

[ ― Par ici pour les tableaux vivants, s’il vous plaît. ]

Quelque chose qui ressemble à une ombre couvre nos ombres.

Traduction Janine Kaminski

Vers Où
Traduction J. Kaminski